J: James Joyce
J'ai terminé Ulysse de James Joyce depuis quelques jours déjà et, tel que promis, voici ma critique de ce "classique" de la littérature, qualifié même de "cathédrale de la prose". Il s'agit d'une des oeuvres centrales du XXe siècle.
En fait, l'image qui m'est spontanément venue à l'esprit en ce qui concerne toute l'admiration autour de ce roman, c'est la fable des Habits neufs de l'empereur que vous connaissez sans doute. Dans cette histoire de Hans Christian Andersen, un empereur fort riche et puissant reçoit la visite de filous qui se disent tisserands et qui offrent à leur hôte de lui confectionner (pour une somme exorbitante) un habit exceptionnel: seuls les gens intelligents pourront le voir, les sots, eux, en seront incapables. À la fin du conte, quand l'empereur, incapable lui-même de voir son habit (mais qui se garde bien d'en parler!), fier de montrer à son peuple cet habit spécial, parade dans son village, nu comme un ver. Enfin, c'est un petit enfant qui aura le dernier mot: "L'empereur est tout nu!" Et tout le monde réalisera qu'il n'y a jamais eu d'habits... Mais les faux tisserands, eux, seront déjà loin.
Bien franchement, tout au long de ma lecture d'Ulysse, je me suis sentie comme l'empereur, observant le travail des tisserands: les métiers vides, les mouvements mimés des tisserands autour des étoffes invisibles... Le génie de Joyce m'échappe totalement. Suis-je donc une sotte, incapable de voir le "vrai" génie de cet auteur? Est-ce que seuls les gens intelligents peuvent vraiment goûter le suc littéraire de Joyce?
Ok. Vous voulez savoir l'histoire de ce fameux bouquin?
Le récit raconte une journée (le 16 juin 1904) dans la vie d'un personnage central, Leopold Bloom. On suit ce personnage de son lever jusqu'à son coucher, en ayant accès à ses pensées, ses rêves, ses réflexions... Mais tout cela est fait avec ce qui m'a paru une "cacophonie" littéraire: la narration varie selon les passages. Un narrateur omniscient, un narrateur au "je", des dialogues avec des notations comme au théâtre. Parfois, on est dérouté totalement par une rupture complète, où même les mots ne sont plus compréhensibles. Tout devient jeux de mots ou onomatopées... On s'y perd. Et jamais je n'ai ressenti de plaisir durant ma lecture. Pas une seule seconde!
Maintenant, pourquoi Joyce a-t-il choisi d'intituler son roman Ulysse? Parce qu'il semble (mais pour moi, cela ne m'aurait jamais effleuré l'esprit sans faire de recherches préalables) que le personnage de Leopold Bloom vit un "voyage" comme celui d'Ulysse dans l'Odyssée d'Homère. Un personnage secondaire, celui de Stephen Dedalus, incarnerait Télémaque, le fils d'Ulysse. Selon les experts, il existe plusieurs niveaux d'analyse de cette oeuvre. Mais en ce qui me concerne, je le redis: je n'ai pas réussi à voir les habits de l'empereur!
Un extrait, pour vous donner une idée de l'excellente prose de Joyce? Il s'agit d'un passage où les personnages de Leopold Bloom et Stephen Dedalus, urinent côte à côte:
"À la suggestion de Stephen, à l'instigation de Bloom, tous deux, Stephen d'abord, ensuite Bloom, se mirent à uriner dans la pénombre, côte à côte, leurs organes de miction rendus réciproquement invisibles par l'interposition de la main, leurs regards, d'abord celui de Bloom, puis celui de Stephen, levés vers la projection lumineuse et semi-lumineuse de l'ombre.
Avec similarité?
Les trajectoires, d'abord successives, puis simultanées, de leurs jets étaient dissimilaires: celui de Bloom plus long, moins saccadé, affectant incomplètement la forme fourchue de la pénultième lettre de l'alphabet, Bloom qui dans l'ultime année de ses classes (1880) l'avait emporté en hauteur sur les efforts de tous ses concurrents, les 210 élèves de l'institution; celui de Stephen plus haut, plus sibilant, Stephen qui dans les heures ultimes du jour précédent avait augmenté par des consommations diurétiques une pression vésicale obstinée. (...)" (p. 1003)
Et vous, les voyez-vous les habits de l'empereur?
Il me reste maintenant la possibilité de poursuivre mes lectures, si jamais je voulais mieux percer le mystère du génie de James Joyce. Par exemple, plonger dans l'énorme étude de Victor-Lévy Beaulieu, James Joyce, l'Irlande, le Québec, les mots. Encore 1100 pages? Bof, savez-vous... J'ai d'autres livres sur ma liste, pour le moment. Sans compter ceux que j'ai envie d'écrire!
James Joyce. Ulysse. Traduction d'Auguste Morel. Paris, Gallimard, 1929 (1922). Collection "Folio" no 2830. 1135 p.