Sept ans
Il y a sept ans, j’étais étudiante à la maîtrise en histoire grecque, je faisais aussi mon certificat en enseignement… et j’étais célibataire depuis trois ans. Monoparentale et un peu démoralisée. Après avoir rencontré les amis d’ami-es, avoir fait le tour de mon carré de sable, mes rencontres se diversifiaient peu. Je sentais que, si j’avais à rencontrer « le mien », il n’existait pas dans mon cercle. Pas encore. J’avais la certitude que je ne le connaissais pas.
Comme je terminais mes études et que je commençais à planifier la suite, j’allais régulièrement sur la Toile du Québec pour consulter les offres d’emploi. Un bon jour, les yeux me sont tombés sur le lien « Rencontres ». Pourquoi pas? Je n’avais pas grand-chose à perdre… Alors j’ai cliqué.
Je me suis choisi un pseudonyme. L’accès aux dames était gratuit. J’ai rédigé un petit texte, quelque chose de bref. Je n’ai pas mis de photo, procédé qui me semblait compliqué (la photo numérique n’était pas encore dans mes cordes, en 1999).
Mes fréquentations sur le site de rencontre se résumaient surtout à lire les descriptions des hommes à la recherche de l’âme sœur. J’étais curieuse de voir quel genre de personnes c’était. En tout cas, pas beaucoup de fous furieux et de maniaques sexuels… En revanche, plein de gens simples, curieux aussi, à la recherche de quelqu’un de bien pour eux. Je passais chaque fois en coup de vent. J’allais lire un peu, je consultais ma boîte de courriels où arrivaient des messages de quelques hommes intéressés par une « Danaée, belle intello aimant la vie… »
Un jour, j’ai reçu un message d’un certain Perrin. Un prince elfe à la recherche d’une fée. Un concepteur de jeu vidéo, isolé dans son univers clos, lui aussi à la recherche d’un moyen d’aller au-delà de son cercle claustrophobique.
Plus encore : à ma phrase latine qui terminait mon texte de présentation, Audaces fortuna juvat, il répondait par la phrase suivante : Mênin aeide, thea, Pêlêïadeô Achilêos que j'ai aussitôt reconnue: "Chante, Déesse, la colère d’Achille le Péléide". La première phrase de l’Iliade d’Homère!
Au latin, on répondait par du grec!
Je n’allais pas le laisser filer, celui-là!
Alors commença une correspondance assidue qui dura huit jours. Nous avons abordé plusieurs sujets, notre vision de la vie, du bonheur, la politique, etc. Pas de « chat », non: de vraies lettres.
Et Perrin a eu une occasion de descendre à Québec. Pourquoi attendre plus longtemps? Il fallait un jour ou l’autre confronter le rêve à la réalité. C’est une des leçons des rencontres par Internet. J’avais peur que la magie ne soit pas au rendez-vous, que nous ayons trop d’attentes. Mais il fallait faire le saut.
J’avais le cœur qui battait la chamade quand je suis arrivée dans le petit Croissant plus où je lui avais donné rendez-vous. Je savais un peu à quoi il ressemblait car il avait mis sa photo sur son site. Cependant, lui ne savait pas de quoi j’avais l’air.
Et je l’ai aperçu. Ce grand gars à l’allure romantique, la tignasse noire. Penché sur un cahier de dessin. Concentré. Je l’ai trouvé si beau! Mais qu’allait-il penser de moi?
Je l’ai abordé, nous sommes partis pour le Vieux-Québec où nous avons marché pour enfin arrêter manger et prendre un café au Temporel. Tout était parfait. La conversation, le contact, les silences…
Et nous avons choisi de nous revoir.
Pendant six mois, nous nous sommes vus les fins de semaines. Ensuite, nous avons été vivre ensemble à Montréal, pour revenir à Québec où nous nous sommes enracinés.
Sept ans, déjà. Et tant de bonheur! De complicité. Un autre enfant… Des défis à surmonter, des projets, des réalisations.
Oui. Sept ans…
Illustration: détail de la statue Psyché ranimée par le baiser de l'Amour, par Antonio Canova, 1793.